Publié le 09 Oct 2024
Quelles sont les responsabilités des dirigeants d’entreprise ?
Juridique
Les responsabilités générales du droit des sociétés
1. Faute de gestion
Les membres d’un organe d’administration, les délégués à la gestion journalière et toutes les autres personnes qui détiennent ou ont détenu le pouvoir de gérer effectivement la société (administrateurs de fait) sont responsables envers celle-ci des fautes commises dans l’accomplissement de leur mission (articles 2:56 CSA et 2:51 CSA).
Exemples : ne pas procéder au recouvrement de créances échues, ne pas renouveler un important contrat en temps et en heure, conclure un marché alors que la société ne dispose pas des accès à la profession pour le faire…
Il en va de même envers les tiers pour autant que la faute commise présente un caractère extracontractuel. Exemple : le contrat annulé pour absence d’accès à la profession cause un préjudice au cocontractant, lequel pourra réclamer des dommages-intérêts.
Lorsque l’organe d’administration forme un collège, les personnes précitées sont solidairement responsables des décisions et des manquements de ce collège.
2. Étendue de la responsabilité
La responsabilité pour faute de gestion est contractuelle.
Seule la société peut intenter cette action en responsabilité : la décision d’intenter l’action relève de la compétence de l’assemblée générale qui peut charger un ou plusieurs mandataires de l’exécution de cette décision (article 5:103 CSA).
Les membres de l’organe d’administration sont déchargés de leur responsabilité lorsqu’ils forment un collège pour les fautes auxquelles ils n’ont pas pris part s’ils ont dénoncé la faute alléguée à tous les autres membres de l’organe d’administration, ou, le cas échéant, à l’organe d’administration collégial. Si elle est faite à un organe collégial d’administration, cette dénonciation et les discussions auxquelles elle donne lieu sont mentionnées dans le procès-verbal.
3. Fin de l’action en responsabilité
L’action en responsabilité prendra fin par la décharge de l’administrateur, sa démission et la prescription.
La décharge : Le fait que l’assemblée générale donne décharge aux administrateurs lors de l’approbation des comptes annuels éteint toute responsabilité vis-à-vis de la société.
La démission : La démission d’un administrateur emporte l’extinction de l’action en responsabilité depuis sa notification à la société et ce, pour les actes commis après la démission et qui sont sans rapport avec la gestion de l’administrateur concerné.
La prescription : Toute action contre les gérants ou administrateurs pour faits de leur fonction se prescrit par 5 ans à partir de ces faits ou, s’ils ont été celés par dol, à partir de la découverte des faits (article 2:143, § 1er CSA).
Les responsabilités spécifiques
1. Action en comblement de passif
À côté des responsabilités classiques des dirigeants d’entreprise (faute de gestion, violation du Code des société, violation des statuts de la société ou encore faute aquilienne que nous venons de voir), l’article XX.225 du Code de droit économique crée en complément de celles-ci une responsabilité spécifique en cas de faillite
L’article XX.225 du Code de droit économique énonce :
“En cas de faillite de la société et d’insuffisance de l’actif et s’il est établi qu’une faute grave et caractérisée dans leur chef a contribué à la faillite, tout administrateur, gérant, délégué à la gestion journalière, membre du comité de direction ou du conseil de surveillance, actuel ou ancien, ainsi que toute autre personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer l’entreprise, peut être déclaré personnellement obligé, avec ou sans solidarité, de tout ou partie des dettes sociales à concurrence de l’insuffisance d’actif.”
L’action intentée sur base de cet article se nomme “l’action en comblement de passif ”. Les travaux préparatoires de la loi du 4 août 1978 ayant introduit cette responsabilité spécifique indiquent que la raison d’être de cette action en responsabilité est de combattre « ceux qui laissent les sociétés dont ils sont les dirigeants de droit ou de fait tomber en faillite sans conséquence dommageable pour leur patrimoine personnel ».
Est réputée faute grave et caractérisée, toute fraude fiscale grave, organisée ou non, au sens de l’article 5 § 3 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux. »
Le paragraphe 1er n’est pas applicable lorsque l’entreprise en faillite, a réalisé au cours des trois exercices qui précèdent la faillite ou au cours de tous les exercices si l’entreprise a été constituée depuis moins de trois ans, un chiffre d’affaires moyen inférieur à 620 000 euros hors taxe sur la valeur ajoutée et lorsque le total du bilan du dernier exercice n’a pas dépassé 370 000 euros. (article XX.225 § 2)
Les conditions de l’intentement de l’action sont les suivantes :
1°La société doit avoir été déclarée en faillite. L’action en comblement de passif ne peut avoir lieu qu’après que la société ait été déclarée en faillite.
2°L’actif doit être insuffisant, c’est-à-dire que le produit net de la liquidation ne suffira pas à payer tous les créanciers sociaux.
3°Une faute grave et caractérisée est commise c’est-à-dire « celle qu’un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n’aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la société ». La faute sera caractérisée lorsqu’elle présentera un caractère fautif manifeste, nettement marqué ou flagrant. Il s’agit de la faute que ne commettrait pas tout homme raisonnable.
4°Contribution à la faillite. Selon les termes de la loi, il suffit que les fautes graves et caractérisées aient contribué à la faillite. Il n’est pas requis qu’elles en soient l’unique ou la principale cause. Le curateur doit donc prouver le lien de causalité entre la faute et la faillite. Il ne doit cependant pas établir le lien entre la faute et l’insuffisance d’actif.
L’action peut être dirigée contre tout dirigeant ou ancien dirigeant. L’ancien dirigeant est celui qui a mis un terme à ses fonctions dans la société avant la déclaration de faillite. L’action peut également être intentée contre toute personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer la société. Cette expression vise la notion de dirigeant de fait.
Le juge dispose d’un large pouvoir pour fixer l’étendue de la condamnation. Ainsi, celle-ci pourra être solidaire ou non. Elle pourra porter sur la totalité ou une partie de l’insuffisance de l’actif.
La prescription de 5 ans prévue à l’article 2:143 § 1er s’applique également à l’action en comblement de passif. Le délai court à partir de la commission de la faute.
Le droit à l’action prend fin à la clôture de la faillite. La décharge n’est pas opposable au curateur.
2. Poursuite d’une activité déficitaire
L’article XX.227 du Code de droit économique précise :
§ 1er. En cas de faillite d’une entreprise et d’insuffisance d’actif, les administrateurs, gérants, délégués à la gestion journalière, membres du comité de direction ou du conseil de surveillance, actuels ou anciens, et toutes les autres personnes qui ont effectivement détenu le pouvoir de diriger l’entreprise, peuvent être déclarés personnellement obligés, avec ou sans solidarité, de tout ou partie des dettes sociales à l’égard de la masse, si:
a) à un moment donné antérieur à la faillite, la personne concernée savait ou devait savoir qu’il n’y avait manifestement pas de perspective raisonnable pour préserver l’entreprise ou ses activités et d’éviter une faillite;
b) la personne concernée avait à ce moment l’une des qualités visées ci-dessus ; et
c) la personne concernée n’a pas, au moment visé sous a), agi comme l’aurait fait un administrateur normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.
§ 2. L’action visée par cet article relève de la compétence exclusive du curateur ».
Limitation des responsabilités (article 2:57)
La responsabilité visée à l’article 2:56 (faute de gestion), de même que toute autre responsabilité en raison de dommages causés découlant du présent code ou d’autres lois ou règlements à charge des membres d’un organe d’administration ou d’un délégué à la gestion journalière, ainsi que la responsabilité visée aux articles XX.225 (action en comblement de passif) et XX.227 (poursuite d’une activité déficitaire) du Code de droit économique sont limitées au niveau de leur montant en fonction de la «taille» de la société (voir les chiffres précis dans l’article 2:57 § 1er).
Cette limitation de la responsabilité s’applique tant envers la société qu’envers les tiers et ce, que le fondement de l’action en responsabilité soit contractuel ou extracontractuel. Les montants maximaux s’appliquent à toutes les personnes visées par la responsabilité prises dans leur ensemble. Ils s’appliquent par fait ou par ensemble de faits pouvant impliquer la responsabilité, quel que soit le nombre de demandeurs ou d’actions (article 2:57 § 2).
La limitation de la responsabilité visée ci-avant ne s’applique pas toutefois :
1° en cas de faute légère présentant dans leur chef un caractère habituel plutôt qu’accidentel, de faute grave, d’intention frauduleuse ou à dessein de nuire dans le chef de la personne responsable ;
2° aux obligations imposées lors d’émissions d’actions nouvelles (article 5:138, 1°à 3°) ;
3° à la responsabilité solidaire visée aux articles 442quater et 458 du Code des impôts sur les revenus 1992 et aux articles 73sexies et 93undeciesC du Code de la taxe sur la valeur ajoutée ;
4° à la responsabilité solidaire visée à l’article XX.226 (dettes O.N.S.S.) du Code de droit économique.
La responsabilité d’un membre d’un organe d’administration ou délégué à la gestion journalière ne peut être limitée au-delà de ce qui est prévu à l’article 2:57.
La personne morale, ses filiales ou les entités qu’elle contrôle ne peuvent par avance exonérer ou garantir les personnes visées à l’alinéa 1er de leur responsabilité envers la société ou les tiers.
Les dispositions de l’article 2:57 sont impératives.
Les responsabilités de droit économique
Outre ces responsabilités découlant du droit économique, les dirigeants d’entreprise doivent également s’assurer du respect d’un certain nombre d’obligations découlant de législations diverses : R.G.P.D., concurrence déloyale, non débauchage, confidentialité, secrets d’affaires, … dont le développement nous entraînerait bien au-delà de notre présent exposé.
Le nouveau droit de la responsabilité extracontractuelle et ses conséquences pour les dirigeants d’entreprise
Pour bien comprendre la portée de la réforme qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025, il convient de rappeler la distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité extracontractuelle.
La responsabilité contractuelle concerne les manquements constatés à l’occasion de l’exécution d’un contrat (exemples : le locataire ne paye pas ses loyers, l’entrepreneur n’a pas terminé les travaux commandés ou a réalisé certains travaux sans respecter les règles de l’art, le garagiste n’a pas remplacé les bougies pour lesquelles il a été payé, …)
La responsabilité extracontractuelle a trait, non pas aux manquements commis dans le cadre d’un contrat, mais à l’obligation générale de prudence et de diligence qui pèse sur toute personne (exemples : je dévale trop vite une piste de ski et je ne peux m’arrêter à temps pour éviter un groupe, en voulant remplacer une ampoule, je casse le lustre de mon ami, …).
Il s’agit donc de deux cas de figure différents.
Jusqu’à présent, il était impossible pour une partie à un contrat d’invoquer les règles de la responsabilité extracontractuelle dans le cadre de ce contrat : seule la responsabilité contractuelle pouvait être recherchée.
De cette interdiction de concours découle le principe de quasi-immunité de l’agent d’exécution.
Sont considérés comme agents d’exécution :
- Les travailleurs vis-à-vis d’un employeur ;
- Les administrateurs vis-à-vis de l’entreprise qu’ils dirigent ;
- Les sous-traitants vis-à-vis d’un entrepreneur principal.
Concrètement, cela signifie qu’une partie contractante qui a subi des dommages dans le cadre de l’exécution d’un contrat ne peut intenter une action que sur une base contractuelle contre la partie avec laquelle elle a conclu le contrat. Par conséquent, les agents d’exécution ne peuvent pas être poursuivis directement par la personne lésée, car il n’existe pas de contrat entre elle et les agents d’exécution.
Illustrons ce principe.
Les travailleurs qui sont venus effectuer des travaux chez vous ont un contrat de travail avec l’entreprise qui les emploie et non pas avec vous. Dès lors, s’ils ont commis des manquements dans les travaux exécutés, vous devez agir contre l’entreprise qui les emploie (responsabilité contractuelle) et non contre les travailleurs personnellement (responsabilité extracontractuelle).
Qu’en sera-t-il de la nouvelle situation ?
Avec l’introduction du nouveau Livre 6 dans le Code civil, les parties contractantes pourront à l’avenir poursuivre un agent d’exécution, à la fois sur une base contractuelle et extracontractuelle. Par conséquent, un maître d’ouvrage, par exemple, pourra non seulement poursuivre l’entrepreneur principal en cas de dommages causés par un de ses travailleurs, mais il pourra également s’adresser directement à ce dernier.
Pour le travailleur, cela signifie qu’il pourra également être poursuivi directement, étant entendu que l’article 18 de la loi relative aux contrats de travail restera toutefois d’application. Cet article prévoit qu’un travailleur n’est responsable, envers l’employeur et les tiers, que de sa faute intentionnelle, de sa faute lourde et de sa faute légère habituelle. Il est donc nécessaire que le travailleur ait commis, par exemple une grave négligence, pour pouvoir engager sa responsabilité personnelle concomitamment à celle de son employeur.
Peut-on déroger à la nouvelle réglementation ?
Oui, le législateur permet aux parties de maintenir une quasi-immunité contractuelle. Des clauses limitant la responsabilité peuvent donc être incluses dans les conditions générales de vente et les contrats individuels (contrats de travail, accords de coopération, contrats de sous-traitance, …).
Pourquoi ce changement ?
Le législateur a souhaité mettre fin à certaines situations inéquitables. Par exemple, le maître d’ouvrage, qui ne dispose d’un droit d’action que vis-à-vis de l’entrepreneur principal, se retrouve actuellement démuni si ce dernier fait faillite et que le sous-traitant est défaillant pendant les travaux. Désormais, le maître d’ouvrage pourra « attaquer » directement le sous-traitant.
Conséquences pour les administrateurs
Aujourd’hui, les administrateurs sont protégés contre les réclamations de tiers par la quasi-immunité de l’agent d’exécution. Désormais, les administrateurs ne pourront plus se soustraire à leur responsabilité en cas de réclamation directe d’un client de l’entreprise par exemple.
Pour les administrateurs, l’entrée en vigueur du Livre 6 du Code civil implique qu’en plus des motifs de responsabilité qui leur sont propres (fautes de gestion) et des plafonds de responsabilité repris sous l’article 2:57 du Code des sociétés et des associations, ils pourront également être tenus responsables par des clients de l’entreprise si les conditions d’une telle responsabilité est réunie.
Mesures à prendre
En général, il sera particulièrement important pour les sociétés de revoir en détail leurs contrats et leurs conditions générales afin d’anticiper la suppression de la quasi-immunité de l’agent d’exécution et d’inclure une protection suffisante à cet égard.